Wheels

João Maria Gusmão et Pedro Paiva, 2011

par ,
le 11 octobre 2015

« Comme les images filmées d’un char romain, ou d’une carriole, lancé en pleine vitesse, l’aurige cramponné aux lanières, les chevaux écumants piétinant ou martelant la terre, le sable de l’arène, les pavés de Rome ou ses larges dalles, nous montrent au plus fort de cette course et dans son bruit de tonnerre, l’image à peu près immobile d’une roue, ses rayons, sa très lente oscillation ou le basculement de quartiers plus brillants qui comme sur un disque lisse balayent d’un va-et-vient la circonférence de cette roue, suivie par le battement, le défilé et comme par l’écroulement de ces rayons qui se mettent soudain à tourner à l’envers du mouvement qui emporte la roue, qui fait disparaître ce char à nos yeux, devant lequel les mêmes chevaux ne cessent d’écumer, de bondir dans le vent et de harceler la terre. Pour une fraction de seconde, l’image du mouvement et comme si par là elle devait cependant s’ajouter à la vitesse, n’a été qu’une oscillation, une sorte d’hésitation superposée sur l’image de ce moment de pendule (comme si ce balancier renversait un mouvement et non une vitesse, attaché à quelque point fixe entre nos deux yeux) : et par ce léger gonflement d’un effet stroboscopique le mouvement se détacherait de la vitesse – parce que les images ne retiendraient peut-être que l’analyse des mouvements très lents des chevaux, de l’aurige, parce qu’ils n’ont pas de centre ou ne peuvent s’annuler dans une accélération autour de l’axe immobile qui distribuerait une sorte de circonférence ; par cet instant, la vitesse sous nos yeux, comme par le franchissement du seuil en deçà duquel les mouvements ne sont que des enregistrements de phases et de positions de corps, la vitesse (comme si une roue se détachait du caisson) se détache du mouvement et berce au ralenti ce corps sphérique légèrement strié de lumière. Un peu comme si ce miroir rond ne nous semblait immobilisé au plus fort d’un mouvement (sans doute parce que ce mouvement-là ne détruirait pas son image, la stabiliserait au contraire), parce qu’il se serait par ce seul instant réglé sur la rotation d’un soleil, aussi plat, tournant en face de lui. »

L’homme ordinaire du cinéma, Jean Louis Schefer

João Maria Gusmão + Pedro Paiva, “Wheels”, 2011 .