Mata Recua & Carta à Mata

À partir de Mata Atlantica (2016) de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval

par ,
le 14 décembre 2021

Nous avons découvert le court métrage Mata Atlantica (2016) de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval. Après un temps de réflexion assez court à l’issue de la projection, nous avons enclenché un travail d’écriture littéraire. Ces écrits sont accompagnés de photographies de Laura Dávila, en correspondance indirecte avec Mata Atlantica.

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Mata Recua

Ça recommence.

On coupe, on coule du béton
Mata recule
On construit des routes, des barrages
Mata recule
On exploite des femmes des hommes qui exploitent des terres
Mata recule
On cherche du pétrole, on cherche de l’or
Mata s’évapore
On élève des bovins, des buildings
Mata recule
On débite le Pau Brasil, le bois des braises
Mata brûle
L’arbre est réputé pour son essence rouge
Mata saigne
On érige un faune
On détruit la faune
Mata recule
On rase
On ampute
On abat
Mata recua
On veut plus de place
Mata trépasse
Le faune chante
La faune déchante
Mata demande :

Mais au fait, qui avance ?

Léa Cuenin

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Carta à Mata,

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Un parc ne sera jamais une forêt. Tu respires et nous mourons, tu résistes — Non
C’est l’œil enchanté, ce qu’il voudrait croire. En vérité tu n’as jamais été, morte avant même d’exister

« Crimes da terra como perdoá-los,
Tomei parte em muitos, outros escondi.
Alguns achei belos, foram publicados. »

« Crimes de la terre, comment vous pardonner.
De nombreux ont ma part, d’autres, j’ai dissimulé,
Certains m’ont semblé beaux, ils furent publiés. »

Le Parc est un musée, au cœur de la ville monstrueuse, gît un immense arbre pétrifié
Ils en ont fait une statue, vite, admirez !
À la petite fille de 10 ans, on l’avait avertie
Quand le soleil tourne derrière midi, n’approche pas le Trianon
É Perigoso. C’est dangereux.
Alors tu m’as fait peur, parc des ombres, toutes ces années
Aujourd’hui, j’ai appris qu’à Bogotá ils effacent les montagnes
Aujourd’hui, Mata-Trianon, pour la première fois, je t’ai vu
Parque proibido, « pássaro proibido »
Par l’œil de l’homme au cœur doux et de la femme-feuille-fleur, je t’ai vu

« Por mais distante o errante navegante
Quem jamais te esqueceria »

Le béton qui t’enserre, on apprend à le haïr si facilement, moi, je l’ai aimé. Il m’a moulée, mon cœur est à lui, à la ville laide, polluée et cruelle. São Paulo, adolescente ivre qui te broie sur son passage, ville dévorante, où tout, rien, n’est possible. J’aimerais qu’on sache te filmer. Que tu deviennes personnage, toi, ma première mère, héroïne de toutes les histoires. Je te trahis avec Paris, ville carton-pâte, ville-beauté. Mais jamais je ne t’oublierai.

Tout recommence.
Tudo outra vez, re-começar.

« Ao som desse bolero
Vida, vamo nós
A orquestra nos espera
Por favor!
Mais uma vez, recomeçar »

Il est difficile de te connaître. Tu n’offres ton âme épineuse qu’à ceux qui ont la patience pour la laideur, le goût pour la nausée. Ce que peut, au moins, le cinéma, c’est te voir, te montrer.

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« Preso à minha classe e a algumas roupas,
vou de branco pela rua cinzenta.
Melancolias, mercadorias espreitam-me.
Devo seguir até o enjoo?
Posso, sem armas, revoltar-me? »

« Uma flor nasceu na rua!
Passem de longe, bondes, ônibus, rio de aço do tráfego.
Uma flor ainda desbotada
ilude a polícia, rompe o asfalto. »

« Sento-me no chão da capital do país às cinco horas da tarde
e lentamente passo a mão nessa forma insegura.
É feia. Mas é uma flor. Furou o asfalto, o tédio, o nojo e o ódio. »

« Prisonnier de ma classe et de quelques vêtements,
Je vais, en blanc, à travers la rue grisonnante
Mélancolies et marchandises me lorgnent,
Dois-je poursuivre jusqu’à l’écoeurement ?
Puis-je, sans armes, me révolter ? »

« Une fleur est née de la rue !
Allez-vous-en, tramways, bus, rivière d’acier du traffic,
Une fleur déjà fanée
Illusionne la police, rompt l’asphalte »

« Je m’assieds sur le sol de la capitale du pays à cinq heures de l’après-midi
Et lentement, je passe la main sur cette forme inquiète
Elle est laide. Mais c’est une fleur. Elle a troué le béton, l’ennui, le dégoût et la haine. »

Julie Douet-Zingano



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Citations, dans l’ordre d’apparition :

(Texte sur les images d’archives) extraits de Mata Atlântica, Elisabeth Perceval & Nicolas Klotz, 2016

« A flor e a náusea », Carlos Drummonde de Andrade, A Rosa do Povo, Rio, Ed. José Olympio, 1945 (« La fleur et la nausée », notre traduction)
« Pássaro proibido », Caetano Veloso/Maria Bethânia, Pássaro Proibido, Universal Music, 1976
« Terra », Caetano Veloso, Muito, Universal Music, 1978
« Começaria tudo outra vez », Gonzaguinha, Meus momentos, EMI Music Brasil, 1994
« A flor e a náusea », ibid.

Le cinéma en commun : retour à l'accueil

Du toucher : essai vidéo par Yufei Hu, à partir de Paria (2001).

Fragments d’une rencontre : avec Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval à propos des acteurs de Paria (2001).

Pour continuer : rencontre avec Elia et Jack, bénévoles à Calais, après la projection de L’héroïque lande. La frontière brûle (2017).

Dire et danser: essai vidéo-dansé avec Nous disons révolution (2021).