Darejan Omirbaev (1/2)

De la précision

Le cinéaste kazakh Darejan Omirbaev fut découvert il y a exactement trente ans, avec son premier long métrage Kaïrat (1992), au Festival International du Film de Locarno et au Festival des 3 Continents à Nantes. Ses autres longs métrages continuèrent ensuite de marquer l’histoire du cinéma contemporain : Kardiogramma (1995), Tueur à gages (1998), La Route (2001), Chouga (2007), L’Étudiant (2012). À la faveur de la sortie dans quelques trop rares salles françaises de son septième long métrage Poet (le 14 décembre 2022) et des récentes projections, en août 2022 à Locarno et en octobre 2022 à Paris lors du 4e Festival du Film Kazakh, de son court métrage Dernière séance, nous publions ce long entretien en deux parties.

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Débordements : Nous avons remarqué des liens très serrés entre Poet, qui est projeté dans les salles françaises en cette fin d’année 2022 et votre film sorti il y a désormais dix ans, L’Étudiant (2012). Ces relations sont assurément à placer dans une logique de correspondances entre des motifs et des moments figuratifs parmi toute votre filmographie. Mais, dans le film L’Étudiant, le personnage du poète désabusé est le père d’une jeune fille qui découvre un recueil sorti de l’imprimerie quelque temps après sa mort ; le regard-caméra de la fillette qui intervient à ce moment-là est très marquant et s’articule avec précision avec un des premiers plans de L’Étudiant. Et ce regard-caméra fait beaucoup penser à celui de la fillette de Poet, à proximité de la hutte dans laquelle Makhambet Utemisov, poète kazakh du 19e siècle qui s’est rebellé contre les autorités, est décapité. Évidemment, cette petite fille est aussi un double de celle de Didar, le poète de nos jours. D’autres résonances sont insistantes, d’un film à l’autre. Dans L’Étudiant, le protagoniste se place sur un pont et regarde assez longuement la circulation des voitures sur l’autoroute. Poet s’ouvre avec la circulation des voitures sur l’autoroute. À quel point pouvons-nous considérer que les deux films forment un diptyque ? L’écriture de Poet a-t-elle avancé ainsi, s’est-elle appuyée sur le film de 2012 ?

Darejan Omirbaev : Alors ce n’est probablement pas un diptyque, pas de manière si affirmée. Je parlerais plutôt d’obsessions d’un cinéaste, de motifs. Il s’agit de l’écriture, du style et donc probablement que de tels plans peuvent se retrouver dans d’autres de mes films. Il y a six ans dans le cadre de mes enseignements, j’ai monté avec des étudiants quinze films ; ce sont des films pédagogiques dont celui qui s’intitule Révérence fait partie. Révérence examinait visuellement les manières dont les cinéastes s’empruntent des scènes ou s’influencent entre eux. Mais il y a un autre ensemble qui s’intitule Autographes, pour lequel je me suis intéressé aux façons dont les cinéastes se répètent de film en film, c’est-à-dire reprennent les mêmes motifs, les mêmes images de film en film.

D. : De telles répétitions sont fréquentes dans votre filmographie. Dernière séance, votre court-métrage, présenté en août 2022, contient une séquence dans un cinéma. Le jeune protagoniste trouve un stratagème pour que la séance de Stalker (Andreï Tarkovski, 1979) compte un nombre de spectateurs suffisant pour démarrer ; à la caisse du cinéma, une publicité pour « Pepsi » domine le champ. Dans votre premier long métrage, Kaïrat, la même configuration visuelle existait, avec un affichage peu ou prou semblable de « Pepsi ». Je me permets de souligner cette intrusion publicitaire, qui n’en est plus une, car plus qu’une constance, il s’agit d’un registre visuel capitaliste qui s’immisce de plus en plus dans la réalité contemporaine parcourue par vos deux plus récents films.

D. O. : Je crois qu’il est impossible de changer sa propre signature. J’étais très intéressé, quand j’ai lu un livre sur la criminologie, par le fait que quand on a commencé à prendre les empreintes digitales des gens, au début les « criminels » pensaient que si on se coupait la peau du bout des doigts, il repousserait autre chose et donc ils ne seraient plus identifiables. Or, il est apparu avec le temps que les empreintes qui repoussaient étaient identiques. Donc non, on ne peut pas changer qui on est.

D. : Même s’il y a un phénomène de reprise, selon une approche stylistique, dans votre travail sur les motifs, nous percevons quelque chose qui évolue sur le plan politique de votre cinéma. Et dans Poet cela s’amplifie, particulièrement avec la dimension historique du film, en passant par le poète du 19e siècle qui est réfractaire au colonialisme russe. Cette dimension politique devient de plus en plus directe à travers vos protagonistes. Cela commencerait véritablement avec Tueur à gages (1998) et le personnage du savant notamment. Cela dit, en tant que cinéaste, vous ne parlez jamais directement de ces aspects dans des entretiens.

D. O. : Oui, ce n’est pas faux, mais je dois dire que pour moi ce n’est pas le plus important. C’est comme quelqu’un qui écrit, un compositeur qui écrit une musique d’opéra sur un libretto, le libretto est un prétexte pour pouvoir écrire la musique. Donc oui, bien sûr il y a toutes ces choses, mais ces choses me sont nécessaires pour obtenir une substance cinématographique, mon style cinématographique, et élaborer un langage cinématographique, je crois que c’est ce qui prime.

D. : Est-ce que ce serait un style qui demeure en lui-même politique ?

D. O. : Oui, en un sens, si on considère que la politique du langage cinématographique, c’est le beau. Parce que si le film ne vaut que pour ce qu’il raconte, alors si le capitalisme cesse d’être le mode principal de notre existence ou si la guerre entre deux pays cesse, et bien tout d’un coup le film cesse lui aussi d’exister. Si c’est la forme qui importe, et bien la forme, elle, perdure.

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D. : Une extrême précision caractérise votre écriture cinématographique, pour une forme de sensibilité qui arrive à toucher de manière singulière. Et cette précision dans le temps, dans le montage et dans les modalités de figuration filmique produit une persistance qui n’est pas simplement l’héritage de Robert Bresson. De la précision, donc.

D. O. : C’est une question compliquée, mais à laquelle il y a une réponse simple. C’est bien une note de Robert Bresson : « Sois précis dans la forme, pas toujours dans le fond (si tu peux) ».

D. : Ce qui nous a beaucoup frappés dans les deux derniers films en particulier, Dernière séance et Poet, c’est justement l’omniprésence des images publicitaires et la manière dont vous les laissez entrer dans le film. Plus vous les laissez enter, plus cela devient insoutenable parce que justement il y a votre regard qui vient se confronter à ce regard très dispersé, très éclaté. Cette confrontation de regards, le vôtre, cinématographique et celui du flux d’images nous intéresse particulièrement.

D. O. : Ce n’est pas difficile, parce que ces images sont omniprésentes. Elles sont là tout le temps et, en même temps, nous pouvons les observer. Anna Akhmatova, une grande poétesse russe qui a vécu en France à un moment donné, au début du 20e siècle, écrit ceci quand elle revient de France : « C’est la fin de la littérature. » Parce que la peinture, selon elle, était en train de remplacer la littérature, le visuel en train de remplacer le mot. Aujourd’hui, on vit la même chose, non avec la peinture, mais avec les écrans, l’omniprésence des écrans qui vient oblitérer, écraser toute autre forme d’expression artistique.

D. : Justement la télévision, les postes de télévision sont très présents dans vos films, depuis vos débuts, fin des années 1980-début des années 1990. Nous évoquions Bresson à l’instant et il a fait intervenir les écrans de télévision à partir des années 70, dans ses films en couleurs. Dans les vôtres, les scènes avec les télévisions sont notamment celles où on augmente le volume de la télévision pour que les mafieux cassent la figure du protagoniste sans se faire entendre.

D. O. : Moi, ce qui me surprend, ce sont les films où il n’y a pas de télévision, parce que c’est la réalité de ce que nous vivons, nous sommes submergés, entourés en permanence d’écrans, nous vivons là-dedans. C’est naturel de les filmer, c’est de ne pas les filmer qui ne serait pas naturel. C’est vrai aussi que ces images sont proches, malgré tout, de mon métier. Si j’étais écrivain, peut-être que je les remarquerais moins, mais là, je les remarque énormément et donc j’ai un vrai plaisir aussi à les filmer.

D. : Dans Poet, une scène prend peut-être une signification plus évidente, celle où Didar pirate les écrans de télévision d’une zone commerciale pour diffuser une émission où il est question de son écriture.

D. O. : Vous devez déjà le savoir, j’ai eu l’idée du film après avoir lu une brève nouvelle de Hermann Hesse. C’est l’histoire d’un écrivain qui vient à une soirée organisée dans une petite ville d’Allemagne et personne ne vient l’écouter alors qu’il s’attendait à y voir du monde. J’aurais pu imaginer, à la place du poète, un cinéaste, avec son film, et personne ne se présenterait à la projection, ou un musicien. Mais je trouvais que c’était plus juste de garder justement quelqu’un qui est dans l’écriture parce que je trouve que pour les gens de l’écriture, aujourd’hui, cette question est beaucoup plus aiguë et que donc c’était plus convaincant de garder cet élément.

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D. : Nous observons que se tisse dans votre travail un lien entre la projection cinématographique et le livre, et d’ailleurs dans Dernière séance, lors de la séance de cinéma, le projectionniste lit un livre en cabine pendant la projection. Est-ce que vous faites un lien direct entre la projection filmique et les mots ? Stalker est montré dans la salle dont on ne voit pas l’écran. On reconnaît bien la musique de la fin de Stalker.

D. O. : Dans la vie, quand nous croisons quelqu’un qui lit, nous avons l’impression qu’il est plus intelligent, cela lui donne une dimension inimaginable sinon. Je crois que c’est la même chose quand il y a des gens qui lisent dans les films. C’est souvent le cas chez Godard, cela crée pour le spectateur et cela confère au film une espèce de troisième dimension, une voie interprétative supplémentaire. J’aime beaucoup mettre les gens qui lisent dans mes films, parce que cela leur donne de la profondeur. Le cinéma peut très vite n’être qu’un art du divertissement et de la distraction, et comment faire pour combattre cela et obtenir que son objet cinématographique soit nettement plus sérieux ? Le livre et le texte, le fait d’avoir du texte dans le film, comme quand il y a une lecture en voix off, cela donne une dimension intellectuelle qui apporte quelque chose au film.

D. : Vous mettez en avant la dimension textuelle et dans vos films les protagonistes sont souvent taiseux (notamment quand le protagoniste est lui-même cinéaste), s’agit-il d’une intériorisation du langage ? D’une proposition particulière en lien avec le monologue intérieur ? Quel est le lien entre le mot, la lecture, et le silence des personnages ?

D. O. : Si vous parlez particulièrement de La Route (2001) et donc, effectivement, c’est mon seul personnage de cinéaste, oui, les cinéastes, comme les peintres d’ailleurs, sont souvent taiseux parce qu’ils s’expriment autrement. J’aimerais réaliser un film sonore, mais où personne ne parle, l’idée me plairait beaucoup, je ne l’ai jamais fait, mais cela me plairait.

D. : Un de vos motifs filmiques, qui est aussi un élément de structuration figurative, est le bus. Nous avons l’impression que toutes vos scènes de bus depuis Kaïrat, et c’est particulièrement le cas dans Dernière séance, votre plus récent film, prennent pour scène séminale celle du Diable probablement. En complément, et différemment, le bus permet des descriptions des paysages, et notamment la description du milieu urbain, aujourd’hui celui des grands bâtiments aux reflets ultramodernes et ultralibéraux. Donc à la fois le bus comme lieu d’intériorités solitaires désormais absorbées par les écrans diffusant leur son (souvent dans des casques), et véhicule pour des descriptions urbaines.

D. O. : Déjà un premier élément de réponse. Je ne crois pas avoir mis en scène cette séquence de Dernière séance parce que je l’ai vue dans d’autres films, chez d’autres cinéastes. Elle provient vraiment d’une expérience très personnelle. J’enseigne le cinéma, parce qu’il faut bien vivre entre les films. J’enseigne à l’Académie des arts Jourgenov. De chez moi, on peut y aller en voiture, mais c’est très compliqué de se garer, donc je me suis mis à prendre le bus. Je le prends au moins deux fois par semaine, sur d’assez longs trajets. Et j’aime beaucoup cela. Mes enfants m’ont acheté des écouteurs, ce qui fait que je suis comme tout le monde, présent et absent en même temps. Je regarde les gens, je regarde les paysages, et j’ai constaté que tout le monde était sur son téléphone, ce qui est, je crois, le cas aujourd’hui du monde entier. J’ai trouvé cela extrêmement intéressant de le mettre en scène, parce que nous sommes dans cette nouvelle ère de l’hyper-accès aux informations, ce qui nous transforme tous en des êtres un peu solitaires. Je trouve que le cinéma non seulement peut, mais qu’il a le devoir moral de le voir et de le montrer. Et je trouve d’ailleurs que ces écrans de téléphone sont un peu comme des livres, dans le sens où eux aussi donnent cette troisième dimension aux personnages qu’on voit dans le film, parce qu’on sait que dans ces moments-là ils sont là et pas tout à fait là. Pour moi, ce n’est pas d’abord de la critique, mais c’est en premier lieu la constatation d’un fait.

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D. : Est-ce que vous constatez que la séance de cinéma, puisque c’est le sujet de votre court métrage, est en train de disparaître ?

D.O. : Oui, je crois que c’est aussi la constatation d’un fait. L’art du cinéma disparaît et peut-être a-t-il déjà disparu. Ce n’est pas le cinéma qui est mort, mais je pense que l’art du cinéma est mort. À part dans quelques enclaves, des endroits où les gens ne sont pas indifférents à l’art du cinéma, comme ce café où nous nous trouvons en ce moment même. Mais je crois que dans la plupart du reste du monde, c’est quelque chose qui n’existe plus. Par exemple, l’opéra ou le ballet. Pour moi, c’est un peu des arts « de musée » pour des arts « vivants ». Il y a peut-être des choses qui se font aujourd’hui, des opéras qui s’écrivent ou des ballets qui se font, mais malgré tout, c’est surtout une forme muséale d’art, qui est préservée dans certaines enclaves encore, mais qui n’a plus de rapport direct avec le monde réel. Et, je crois, le cinéma est en phase de devenir quelque chose du même ordre. Peut-être simplement parce que son temps est passé ou peut-être parce qu’il s’est trompé de voie et que du coup, il est arrivé dans une impasse. Je me posais la question en ces termes récemment : est-ce que le cinéma est en train de mourir parce qu’il s’est épuisé, il a exploité tout son potentiel artistique, ou est-ce parce qu’il n’a jamais réussi à se débarrasser définitivement du théâtre et de la littérature ? Et donc, il n’aurait pas réussi à acquérir une vraie existence. Peut-être qu’il sera sauvé par des voies tout à fait inattendues. Comme le cinéma scientifique, mais c’est difficile à anticiper. Dans la plupart des films contemporains, en fait ce qui change, ce sont les acteurs, c’est parfois l’histoire, mais pas le style cinématographique, pas le langage cinématographique, qui finalement est toujours simplement une manière d’illustrer, de représenter l’histoire. Cela ne me laisse pas beaucoup d’espoir. Alors que j’ai beaucoup de foi dans les scientifiques et donc peut-être que le salut viendra par eux.

D. : Charles, dans le Diable probablement est en quelque sorte mathématicien…

D.O. : Mon père était mathématicien, mon fils est informaticien.

D. : Vos films ne sont pas des films théoriques, pourtant il y a quelque chose comme un art poétique qui se construit et se pense à même les films et leurs opérations filmiques. Un des exemples les plus remarquables figure dans La Route, où l’on découvre trois différentes propositions de mises en scènes pour l’assassinat de l’homme sur le banc, qui surveille un enfant près d’une rivière. Les trois scènes correspondent à des variations, à des reprises qui réouvrent les possibles d’une scène d’un autre film, pourtant finie et antérieure, puisqu’elle se tient dans la dernière partie de Tueur à gages, le film précédent, réalisé trois ans avant.

D.O. : Oui, je vois très bien de quels moments il s’agit dans La Route. Effectivement je trouvais très intéressant de montrer la manière dont fonctionne l’esprit d’un cinéaste, d’un créateur. J’ai découvert un jour sur le site du British Film Institut un film intitulé Chaplin inconnu (Unknown Chaplin, 1983) de Kevin Brownlow et David Gill. Chaplin élaborait beaucoup de ses séquences au fur et à mesure qu’il tournait et ce documentaire réunit côte à côte de multiples versions de la même séquence de certains films, à partir des chutes en pellicules qui ont été conservées. Par exemple, pour City Lights (1931), la séquence où la jeune fille aveugle va croire que Charlot est riche. En fait, dans les premières séquences, il monte juste comme ça dans la voiture, sans raison, et ensuite dans les prises suivantes, tu vois qu’il a inventé que des policiers arrivent et qu’il cherche ainsi à leur échapper, c’est ce qui motive son geste. C’est vraiment comme si on rentrait dans la tête du cinéaste et que l’on comprenait vraiment comment s’élabore un plan ou une séquence. Et donc j’avais envie de reproduire quelque chose de cet ordre et de l’exposer dans La Route. Le processus de création en tant que tel m’intéresse beaucoup.

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D. : Il y a un personnage de cinéaste, mais aussi ceux de poètes, notamment dans votre plus récent long métrage, Poet, où une des plus belles scènes réunit l’artiste, le poète, et son public, son lectorat : en l’occurrence une seule femme, bègue, qui récite le poème dans une vaste salle vide. Il existe aussi une proximité entre le deuxième spectateur, âgé, de Dernière séance et vos personnages de poètes. Au fond, ces personnages se réunissent.

D.O. : Oui, il n’y a pas tellement de différence entre le créateur et celui qui lui reçoit l’œuvre, qui est capable de la recevoir, en tout cas ils ont quelque chose de très proche d’entre eux : celui qui écrit et celui qui lit, celui qui réalise et celui qui regarde, et probablement que ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils sont tous un peu idéalistes.

D. : On ne sait grand-chose de ce personnage âgé dans Dernière séance. Nous avons pensé qu’il pouvait être un poète.

D.O. : C’est un écrivain juif du Kazakhstan très connu, Adolf Artsichevski. J’ai cherché longtemps l’acteur qui jouerait ce rôle. J’ai cherché un vieil homme qui irait voir Stalker au cinéma, et en fait je n’arrive pas à imaginer un Kazakh de quatre-vingts ans qui irait voir Stalker au cinéma. Mais un vieil homme juif, oui. Si de vieux Français vivaient au Kazakhstan, peut-être qu’ils y iraient, mais il n’y en a pas à ma connaissance. Donc il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’ai choisi Adolf Artsichevski. Il y a ainsi les mémoires de Tchekhov, qui a grandi à Taganrog, où pas grand monde ne s’intéressait à la lecture. Lui allait en bibliothèque et les seuls autres enfants qui y allaient à part lui, ce n’étaient que des enfants juifs. Il y a quelque chose pour moi qui s’associe à l’amour du livre, à l’amour de la littérature et de la découverte chez le peuple juif. Pour moi, il était important de mettre un homme comme celui-ci dans ce film. Et aussi parce que je trouvais plus fort qu’ils ne soient pas de la même nationalité tous les deux, le jeune homme et le vieil homme. Cela donne une amplitude plus importante et une autre dimension pour leur proximité d’âme malgré ce qui les différencie.

D. : La scène de fin, entre les deux, est filmée au ralenti. Une simplicité, qui n’empêche jamais un style très tranché dans la forme, caractérise votre cinéma. Même la dimension fantastique est très simple, donc particulièrement inventive. Il y a néanmoins quelques modifications rythmiques qui passent par le ralentissement, par, tout de même, un effet.

D. O. : Ce choix du ralenti est venu seulement au moment du montage. Pendant le tournage, je ne l’avais pas du tout en tête. Le ralenti est employé selon un principe similaire au regard-caméra, c’est ce qui rompt une forme de vraisemblance du monde diégétique, et donc il faut utiliser ces procédés avec une extrême parcimonie parce que sinon ils se dévaluent. On retrouve le regard-caméra du début de notre conversation.

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Merci à Elena Blokhina pour l’aide à la transcription de l’entretien. Darejan Omirabev était invité par le 4e Festival du Film Kazakh qui se déroulait à Paris du 27 au 30 octobre 2022.

Images : Poet, 2022 ; Dernière séance, 2022 ; L’Étudiant (2012).