La mer, la projection

En navigant avec Film socialisme

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le 2 février 2016

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« Je me dis ça, que le cinéma est une projection en dehors et en dedans et que le digital, la télévision n’ont pas de rapport avec ça et n’en veulent pas. Car la télévision ne projette plus, en même temps que les gens n’ont quasiment plus de projets. Ne pas être au chômage c’est pas un projet, aller au camp Méditerranée c’est pas un projet. La projection, ce phénomène qui fait que les gens sortent de chez eux a été changé par la quantité de télévision. […] Et puis pourtant il doit y avoir quelque chose d’ancien qui vient de loin – qui disparaîtra peut-être dans 60 000 ans – qui fait qu’il y a ce désir de projection, qu’on continue à regarder le ciel et la mer.  »

Jean-Luc Godard, « Dans Marie il y a aimer » (1985).

« Ce que je sais, ce qui est mien, c’est la mer indéfinie. A vingt et un an, je m’évadai de la vie des villes, m’engageai, fus marin. Il y avait des travaux à bord. J’étais étonné. J’avais pensé que sur un bateau on regardait la mer, qu’on regardait sans fin la mer. »

Henri Michaux, « La Mer », Epreuves, exorcismes 1940-1944.

« [L]e cours de l’expérience a baissé. Et il a l’air de prolonger sa chute. Nul jour qui ne nous prouve que cette baisse ait atteint un nouveau record, que non seulement l’image du monde extérieur mais celui du monde moral ait subi des changements considérés avant comme impossibles. Avec la Grande Guerre un processus devenait manifeste qui, depuis, ne devait plus s’arrêter. Ne s’est-on pas aperçu à l’armistice que les gens revenaient muets du front? non pas enrichis mais appauvris en expérience communicable. Et quoi d’étonnant à cela? Jamais expérience n’a été aussi foncièrement démentie que les expériences stratégiques par la guerre de position, matérielles par l’inflation, morales par les gouvernants. Une génération qui avait encore pris le tramway à chevaux pour aller à l’école se trouvait en plein air, dans un paysage où rien n’était demeuré inchangé sinon les nuages[.]

Walter Benjamin, « Le Narrateur » (1936).

« Pour les pères de nos pères, une maison, une fontaine, une tour inconnue, leur vêtement même, leur manteau étaient encore des objets infiniment familiers ; presque tout leur était un réceptacle, où ils trouvaient de l’humain et accumulaient encore plus d’humain. À présent, l’Amérique nous bombarde de choses vides et indifférentes, d’apparences de choses, de simulacres de vie.»

Rainer Maria Rilke, Lettre à Hulewicz (1922).

« Le poisson pêché pense à l’eau tant qu’il le peut. Tant qu’il le peut, n’est-ce pas naturel ? »

Henri Michaux, « La Lettre », Epreuves, exorcismes 1940-1944.

« Si on parle du fond des choses, du fond de la mer[,] oui. »

Jean-Luc Godard, conversation avec Daniel Cohn-Bendit (2010).

« Il est de l’essence de l’image de contenir quelque chose d’éternel. Cette éternité s’exprime par la fixité et la stabilité du trait, mais elle peut aussi s’exprimer, de façon plus subtile, grâce à une intégration dans l’image même de ce qui est fluide et changeant. [P]enser, pour le peintre chinois, veut dire penser par ressemblance. Comme, d’autre part, la ressemblance ne nous apparaît que comme dans un éclair, comme rien n’est plus fuyant que l’aspect d’une ressemblance, le caractère fuyant et empreint de changement de ces peintures se confond avec leur pénétration du réel. Ce qu’elles fixent n’a jamais que la fixité des nuages. Et c’est là leur véritable et énigmatique substance, faite de changement, comme la vie. »

Walter Benjamin, « Peintures chinoises à la Bibliothèque nationale » (1938).

« Je suis ici comme un aveugle qui cherche son trésor au fond de l’océan. »

Golaud dans Pélléas et Mélisande (1902), cité par Jacques Aumont, dans Amnésies.

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Toutes les images proviennent de Film socialisme, de Jean-Luc Godard (2010). Voici un lien vers son scénario, publié sur Débordements en juillet 2015.