L’enfant d’en haut, Ursula Meier

La merde en bas

par ,
le 24 avril 2012

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Admettons qu’un récit se compose classiquement d’une alternance de temps faibles et de temps forts. Cela ferait du ski alpin, alternance de montée et de descente, une métaphore du récit classique. Non sans toutefois quelque difficulté symbolique, puisque les temps forts seraient alors les descentes et les temps faibles les montées, à rebours de l’imaginaire le plus commun du haut et du bas. L’enfer est sous terre et les anges sont dans les cieux. Quant à l’échelle sociale, on nous a assez répété qu’il valait mieux la gravir. Dans un imaginaire mal colmaté, le haut de l’échelle sociale pourrait alors ressembler au paradis, et les riches ou les puissants aux anges ou aux Dieux. La station de ski est le lieu de cette confusion entre la mythologie et le social. Sommet géographique recouvert de blanc auquel on n’accède guère sans revenu conséquent.

Ursula Meier s’attelle à figurer cette confusion. Il est évidemment de l’intérêt des gérants de station de spéculer sur celle-ci, et son effectivité repose alors sur une discrimination. La pureté du haut tient à l’élision du bas et de ce qui s’y rapporte : les ordures sont descendues dans la vallée, et le travail reste une affaire de coulisses. Mais l’enfant du titre, Simon, contrarie l’imaginaire par son intrusion : il n’est pas là en vacances mais pour dérober les accessoires des vacanciers afin de les revendre (puisque l’argent ne tombe pas du ciel, il faut aller l’y chercher). La présence de Simon révèle alors la bassesse du haut. Il force un vacancier qu’il a volé à sortir de son loisir glorieux (sirotage, bronzage), pour le rattraper et récupérer son bien. Violence sur la neige. On a bien le droit de corriger un enfant quand il s’agit de défendre son bien.

Si Meier s’était contentée du social, nous aurions eu un travail certes un peu classique mais pas déplaisant. Le film est plus malin que cela. Il nous montre également l’existence que mène Simon quand il est en bas, habitant dans une tour avec Louise, sa sœur aînée. Ou du moins c’est ce que nous croyons au début (si nous n’avons pas vu la bande-annonce), puisque Louise est en réalité la mère de Simon. Le mensonge qu’elle entretient à ce sujet est pour elle une manière de croire encore à sa liberté et à sa jeunesse, de conserver des possibilités de rencontres masculines. C’est aussi le signe, à la fois l’effet et la cause, d’un trouble psychologique chez ces deux personnages. La mère de Simon en est à peine une (elle préfère passer la nuit de Noël avec son petit ami qu’avec son fils) et l’on comprend que la contrepartie de l’indépendance et de la débrouillardise du fils est le désordre et le manque affectif. Il y a tout à la fois inversion et maintien des rôles : c’est lui qui ramène l’argent, c’est elle qui découche et est retrouvée ivre morte, mais il reste un enfant qui cherche le réconfort sur la proéminence du sein maternel.

La relation mère-fils est complexe : c’est que L’enfant d’en haut n’est pas un film simple. La symbolique haut-bas y est mise sens dessus-dessous. En haut, le paradis de la station de ski apparait comme le lieu d’une violence sociale. En bas, le lieu familial, celui de la détresse psychologique et de l’impureté des corps mortels et de leurs désirs (ivresse, sexe, inceste), peut à l’occasion se remplir d’une innocence et d’une tendresse qui lui est propre. Après s’être battus violemment dans la terre, mère et fils mettent leurs vêtements à laver et reposent côte à côte dans la nudité. On pourrait dire que face au pouvoir social de l’argent et à ses protections et fétiches (la combinaison des skieurs), le corps “naturel” reste le dernier refuge pour l’imaginaire paradisiaque. Simon et Louise, même déchus, sont les véritables anges. C’est une manière de lire le titre du film qui, dans une visée plus réaliste, aurait pu s’appeler « L’enfant d’en bas ».

Cette glose est volontariste. La complexité du film pourrait être une illusion, et elle rencontre de fait trois écueils. Le premier est la présence de stéréotypes psychologiques (voir ce qu’il est dit plus haut de la mère et du fils) et figuratifs (les cheveux gras de Léa Seydoux). Le second est, tranchant avec l’apparente complexité symbolique, le manque d’épaisseur des seconds rôles, réduits à des apparitions fonctionnelles servant de supports aux projections psychologiques (la touriste américaine comme mère de substitution) ou de chair au discours social (le chef-cuisinier qui met Simon dans les ordures). Le troisième est le manque de continuité ou de cohérence de l’ensemble ; les actions, que ce soit dans la station ou dans la vallée, semblent pouvoir exister indépendamment les unes des autres, comme des perles échouant à former un collier. Une scène pourrait être emblématique de tout cela. Louise emmène Simon avec elle dans un chalet où elle doit faire le ménage. Avant de quitter le chalet, la propriétaire vient signaler l’absence d’une montre et demande qu’on la lui rende. Simon dit qu’il ne l’a pas volée. Louise entreprend de le fouiller. Elle ne la trouve d’abord pas, puis plonge la main dans les sous-vêtements de son fils pour l’en ressortir et la restituer. La scène a un certain potentiel psycho-dramatique et délivre un bonus œdipien au spectateur. C’est justement cela qui la fait basculer du complexe et de l’émouvant au malin. Elle fonctionne en réduisant les personnages à une structure psychologique de base et envoie de lourds signaux symboliques à chaque spectateur.

Point de complexité donc, mais plutôt de la connivence, des clins d’œil d’un auteur au spectateur partageant une même culture, le tout au détriment des personnages. Au plus ceux-ci seront assimilés à des archétypes creux, au mieux la lecture symbolique fonctionnera (et la rétribution symbolique qui va avec). À la fin du film, des cabines du télésiège se croisent : l’enfant descend, la mère monte. Ils s’appellent sans pouvoir se rejoindre. Ursula Meier gère les montées et les descentes, joue à montrer la bassesse du haut et la hauteur du bas. Mais elle le fait en se situant elle-même au-dessus de ses personnages. Le spectateur, tenté de la rejoindre, peut néanmoins comprendre la bassesse de ce positionnement. Renverser le haut et le bas est encore une manière de les maintenir, c’est manquer la possibilité d’un espace intermédiaire, d’un à-côté. Car le haut et le bas ont un secret en commun : l’égalité.

L'enfant d'en haut, un film d'Ursuala Meier, avec Kacey Mottet Klein (Simon), Léa Seydoux (Louise), Martin Compston (Mike), Gillian Anderson (Kristin Jansen), Jean-François Stévenin (le chef-cuisinier)

Scénario : Antoine Jaccoud, Ursula Meier, Gilles Taurand / Photographie : Agnès Godard / Montage : Nelly Quettier / Musique : John Parish

Durée : 100 min

Sortie : 18 Avril 2012