Brasil !

Brasil ! à la Cinémathèque française : histoire, rétrospective ou panorama ?

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le 6 avril 2015

Ce texte est le premier d’une quinzaine de notes qui seront rédigées au fil du cycle que la Cinémathèque française consacre, du 18 mars au 18 mai 2015, au cinéma brésilien. Une centaine de courts et de longs métrages (dont six en avant-première) y seront présentés. Brasil ! Une histoire du cinéma brésilien nous a donc semblé l’occasion d’écrire sur des films de l’histoire du cinéma brésilien que nous estimons, comme Limite, Ganga Bruta, Iracema ou encore Serras da desordem, tout en essayant de retracer leur trajectoire en France : ont-ils circulé ? Ont-ils fait l’objet de publications ? Y a-t-il des copies disponibles ? Le cinéma brésilien et la place qu’il occupe en France étant des sujets bien trop vastes pour que nous les attaquions de front, nous partirons donc toujours d’objets précis. Il est opportun d’annoncer qu’aucun critère, mis à part nos connaissances préalables aux projections et notre envie de nous pencher sur certains films, n’a guidé nos choix.

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Pourquoi une rétrospective du cinéma brésilien à la Cinémathèque française ?

Bien que le Brésil compte parmi les plus grands producteurs de films au monde, aucune institution française n’a consacré une programmation conséquente à cette cinématographie depuis presque trois décennies. Le projet de la Cinémathèque n’a cependant pas pour origine que cette longue éclipse. Deux autres raisons se sont mêlées : la première, pragmatique, est que le Brésil était, cette année, l’invité d’honneur du Salon du livre de Paris. La seconde, subjective et presque plus légitime, puisqu’elle repose sur une relation directe avec les films et non sur une conception excessivement rationaliste de la programmation, est le lien entretenu par Bernard Payen avec le cinéma brésilien. Programmateur en charge de la rétrospective, il était auparavant sélectionneur pour la Semaine de la critique. Il a ainsi pu constater, tout au long des années 2000, qu’un grand nombre de courts métrages brésiliens réalisés par des cinéastes souvent peu expérimentés se démarquaient du reste de la production internationale. Dès lors, il a été plus attentif à cette filmographie, ce qui lui a permis de repérer les nouvelles tendances esthétiques à l’oeuvre dans le cinéma brésilien récent. Ayant par la suite intégré l’équipe de programmation de la Cinémathèque, Bernard Payen a créé La collection brésilienne, destinée à présenter des séances monographiques de courts-métrages de cette nouvelle génération. Cela explique, au passage, la prépondérance du cinéma contemporain dans le panorama historique proposé.

En quoi consiste la programmation ?

La brochure suggère d’emblée qu’il sera surtout question du cinéma “d’auteur”. Ainsi, parmi les très rares films antérieurs aux années 1950 (cinq en tout), deux sont d’Humberto Mauro, “le premier auteur de cinéma au Brésil”. Si la programmation dans son ensemble suit effectivement cette ligne directrice, elle ne l’assume cependant pas complètement. En effet, il aurait alors été sûrement plus profitable d’aller au-delà des films phares des cinéastes les plus reconnus de l’histoire du cinéma brésilien s’il s’était agi de cerner véritablement les tournures de leur “calligraphie” cinématographique.

Au contraire des films de la première moitié du XXème siècle, ceux des années 2000 sont légion, composant presque la moitié du programme. La nouvelle génération de réalisateurs brésiliens est donc privilégiée, mais elle est embrassée par un regard demeurant tout de même ouvert sur l’histoire (particulièrement celle de la seconde moitié du siècle dernier), ce qui s’avère aussi rare que pertinent. En effet, le cinéma brésilien contemporain manque de mise en perspective, autant que le cinéma plus ancien souffre de ne pas être reconsidéré depuis ce nouveau contexte. Hélas, le montage des séances manque d’établir plus de rapports entre passé et présent.

Alors que dans les années 1960, Paulo Emílio Salles Gomes félicitait Jean-Claude Bernardet pour être parvenu, dans son premier livre, à considérer le cinéma moderne brésilien comme un “ensemble organique”[11] [11] Voir la préface de Paulo Emílio Salles Gomes au livre Brasil em tempo de cinema. , Orlando Senna écrivait en 2006 (à l’occasion de l’année du Brésil en France) que “la caractéristique du cinéma brésilien actuel, c’est la diversité”[22] [22] Orlando Senna. « Cinéma Brésil 2006 : convergences, mutation, pluralité, et une nouvelle génération ». In Trafic, n. 58, été 2006, p. 59. . Ce dernier point semble faire obstacle à une perspective englobante[33] [33] Même si nous savons qu’il n’y avait pas non plus d’unité à la période analysée par Bernardet. , voire même solliciter une autre type d’approche. Ce nouveau cinéma nécessite peut-être d’autres histoires, spécifiques, axées sur des questions singulières : formelles, thématiques, budgétaires, liées aux dispositifs de productions, etc. Malgré l’intitulé “une histoire du cinéma brésilien”, l’approche adoptée par la Cinémathèque est plus généraliste, le point de vue plus global, ce qui implique d’autres objectifs et d’autres exigences.

Si en tant qu’histoire particulière, cette programmation semble trop centrée sur les “incontournables”, et si, en tant que rétrospective, elle ne semble pas assez exhaustive, il y a pourtant là toutes les qualités d’un panorama efficace : rendant une cinématographie peu connue en France accessible au public, faisant preuve d’une grande capacité de synthèse pour présenter de manière pédagogique les principales balises de l’histoire du cinéma brésilien, et se montrant de surcroît attentif à la production récente encore peu étudiée, et surtout peu montrée en salles.

Deux prédécesseurs

Puisque nous nous proposons de réfléchir sur le cinéma brésilien en France, il faut citer, pour conclure, deux évènements précédents : d’abord la longue rétrospective du cinéma brésilien qui a eu lieu au Centre Georges Pompidou en 1987, qui avait réuni environ 200 films réalisés entre 1913 et 1986, et ayant donné lieu à l’ouvrage Le cinéma brésilien, dirigé par Paulo Paranaguá.

Presque vingt ans plus tard, durant l’année du Brésil en France (2005), de nombreuses salles parisiennes telles que L’Arlequin, Le Latina ou le Forum des Images, se sont partagées la tâche de diffuser plus de 400 films brésiliens. Cet événement est particulièrement important à l’égard de ce qui se passe aujourd’hui à la Cinémathèque, car la plupart des bobines utilisées font partie de la collection offerte à la Cinémathèque française par l’ambassade du Brésil, suite à cette année spéciale. C’est aussi grâce aux séances de 2005 que la revue Trafic a pu consacrer une partie de son numéro 58 au cinéma brésilien, où se trouve un article d’Orlando Senna, à l’époque Secrétaire de l’audiovisuel au Ministère de la Culture brésilien.

Dans la mesure où la rétrospective à Beaubourg, tout autant que l’année du Brésil en France, ont suscité d’importantes publications, nous supposons qu’il ne saura en être différemment cette fois-ci. Nous voici en tout cas prêts à prolonger ce travail.

[Première séance : Iracema, uma transamazônica, de Jorge Bodanzky et Orlando Senna (1974).]

L'image provient d'un film, hélas, absent de la programmation : Terre en transe (Terra em transe, 1967), de Glauber Rocha.